Le nouveau gouvernement formé par Sébastien Lecornu semble vouloir donner l’image d’un exécutif plus ouvert à la société civile, où techniciens, hauts fonctionnaires et dirigeants économiques remplacent plusieurs figures politiques. Ce choix stratégique intervient dans un contexte de forte tension parlementaire, à la veille du débat budgétaire, alors que l’exécutif cherche à éviter une nouvelle censure.
Une tentative assumée de « dépolitisation »
Face à un paysage politique fragmenté, le chef du gouvernement semble privilégier la compétence plutôt que l’étiquette partisane. Présentée comme un « gouvernement d’efficacité » pour garantir « un budget sérieux et fiable », cette composition vise à apaiser les oppositions et à redonner crédibilité à l’action publique. Reste à savoir si cette technicisation suffira à rallier les voix nécessaires pour faire adopter la réforme budgétaire d’ici la fin de l’année et contrer les motions de censure déjà déposées par LFI et le RN.
Des personnalités venues d’ailleurs… mais pas que
Le gouvernement compte de nombreux visages issus de la société civile, même s’ils ne sont pas nécessairement dépourvus d’expérience politique ou d’affinités avec le macronisme. Parmi eux : Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, qui succède à Bruno Retailleau au ministère de l’Intérieur, et Jean-Pierre Farandou, ancien PDG de la SNCF, désormais à la tête du ministère du Travail et des Solidarités.À la Transition écologique, Monique Barbut, ex-présidente du WWF France, est nommée, tandis qu’Édouard Geffray, ex-directeur général de l’Enseignement scolaire, prend les rênes de l’Éducation nationale, entraînant la sortie d’Élisabeth Borne du gouvernement.
Il convient également de souligner la présence de six ministres LR, entrés au gouvernement malgré la décision officielle de leur parti de ne pas y participer. Rachida Dati et Annie Genevard, respectivement aux ministères de la Culture et de l’Agriculture, figurent parmi eux, ce qui a provoqué leur exclusion du parti et la cessation de leurs fonctions dans les instances des Républicains.
Mais un casting suffira-t-il à transformer la donne ?
Cette ouverture à la société civile n’est pas inédite et s’inscrit dans la continuité du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, sous l’impulsion d’Édouard Philippe. À l’époque déjà, des ministres issus du privé ou de l’administration avaient été nommés, sans provoquer de réel bouleversement dans la politique d’État.
Si la technicisation et l’arrivée de nouveaux visages donnent l’impression d’un exécutif quelque part rénové, il reste à savoir si cette composition aura un impact concret. En réalité, la ligne politique tenue par Sébastien Lecornu apparaît proche de celle de son précédent gouvernement. Si de nombreux ministres de la société civile font leur entrée, cela n’a pas modifié la déclaration gouvernementale : la suspension de la réforme des retraites est confirmée, mais sur d’autres sujets où la majorité parlementaire est divisée, peu (ou pas) de nouveautés apparaissent.
En misant sur la neutralité et la compétence, Lecornu prend le pari d’un exécutif « sans couleurs », mais pas sans risques : celui d’un gouvernement perçu comme technocratique, sans ancrage politique solide, alors même que la crise politique perdure depuis plusieurs mois. Les prochains jours diront si ces « visages neufs » sauront transformer l’essai — ou si ce casting de la société civile ne sera qu’un dernier rempart avant une nouvelle crise de confiance et une dissolution certaine de l’Assemblée nationale.