Relations publiques et stratégie de plaidoyer : moins de livrables, plus d’impact

21 Mar 2025

Dans le monde du plaidoyer et de la communication stratégique, livrer devient souvent une obsession. Rapports, campagnes, événements : tout semble tourner autour de ce qu’on produit. Mais produire, est-ce vraiment transformer ? À force de confondre livrable et résultat, on oublie parfois l’essentiel : l’impact réel, les alliances construites, les décisions influencées. Et si on en finissait avec cette République du livrable pour remettre la stratégie — la vraie — au cœur de nos actions ?

Tout projet de plaidoyer ou de communication stratégique commence souvent par une question apparemment anodine : « Quel livrable allons-nous produire ? » Rapport, note, vidéo, campagne, infographie… Dans bien des cas, cette interrogation guide l’ensemble de la démarche, comme si le format conditionnait la finalité. Et si, au contraire, cette logique — devenue réflexe — freinait notre capacité d’action ?

Nous défendons l’idée qu’il est temps d’en finir avec ce que nous appelons la République du livrable : un modèle dans lequel la valeur d’une stratégie se mesure à la quantité et à la qualité formelle des productions livrées, au détriment de ce qui devrait primer — l’impact réel, la clarté politique, la transformation des rapports de force. Produire un livrable, c’est souvent nécessaire. En faire une finalité, c’est prendre le risque de dévoyer l’objectif initial.

Quand le livrable devient l’objectif

Le livrable n’est qu’un moyen. Pourtant, dans de nombreuses approches, il devient l’aboutissement en soi. Un événement devient une fin, et non une étape. Un rapport, une vitrine plutôt qu’un levier. Une vidéo, une obligation plus qu’un outil. À force de confondre production et résultat, on finit par évaluer la réussite d’une démarche à la solidité de sa maquette ou au nombre de pages rédigées, non à l’impact produit sur le réel.

Cette approche engendre des dérives bien identifiées. Elle favorise une vision court-termiste, centrée sur des échéances de livraison plutôt que sur une dynamique de transformation. Elle biaise l’évaluation des projets : on mesure ce qu’on peut compter — les vues, les retombées, les impressions — plutôt que ce qui compte réellement — les liens tissés, les décisions influencées, les engagements obtenus. Enfin, elle altère la capacité d’écoute et d’agilité. Toute l’attention se porte sur ce qui doit être livré, rarement sur celles et ceux à qui cela devrait bénéficier ou sur la réalité politique mouvante dans laquelle nous opérons.

Ne jamais sacrifier la stratégie au profit du livrable

Il y a quelques semaines, un syndicat influent organisait un événement annuel à la Maison de la Chimie. Tout était pensé pour cocher les cases du succès visible : lieu prestigieux, scénographie maîtrisée, programme bien ficelé, personnalités en nombre. Le livrable était irréprochable, du moins sur la forme.

Deux députés, tous deux mobilisés sur les sujets portés par le syndicat, avaient manifesté leur volonté de prendre la parole. L’un a été intégré au programme, l’autre écarté. Non pas en raison d’un désaccord de fond, mais parce qu’il s’exprime « moins bien », disait-on. Moins clair. Moins pertinent pour la scène.

Cette décision est symptomatique. Car l’objectif premier de cet événement — à savoir créer du lien avec les élus, renforcer l’ancrage politique de la structure, peser dans le débat public — a été partiellement mis de côté pour préserver la « qualité » du livrable final. Pourtant, qui peut croire qu’un programme parfaitement calibré vaut mieux qu’un dialogue engagé avec deux parlementaires de terrain ? Qui peut croire que l’efficacité d’une stratégie repose sur la photogénie d’un panel ?

Cette anecdote n’est pas un cas isolé. Elle illustre un biais de plus en plus répandu : considérer que la réussite d’un événement, d’une campagne ou d’un projet se joue sur la forme, alors que le sens, la portée politique, le changement réel ne sont plus interrogés avec la même rigueur.

Sortir du court-termisme, pour une stratégie de relations publiques au moyen terme

Un bon plaidoyer ne se construit pas sur une succession de livrables empilés dans un rétroplanning. Il s’agit d’un processus vivant, évolutif, souvent discret, toujours politique. Il exige de l’écoute, une capacité à sentir le moment, à adapter les méthodes, à déplacer les priorités quand le contexte l’exige.

Au sein de Reform Paris, on parle souvent de relations authentiques. Pour en savoir plus, n’hésitez pas à lire notre manifeste.

J’ai travaillé, comme beaucoup, avec des partenaires très attachés aux codes traditionnels de la politique : rendez-vous sous les dorures institutionnelles, réunions au ministère, photographies symboliques à l’entrée d’une commission. Moi aussi, à une époque, j’y ai vu une forme de reconnaissance. Et puis il y a eu ce moment où tout a basculé : un changement de gouvernement, un nouveau ministre, et l’idée que tout allait se jouer dans la demande de rendez-vous. Mais nous avons fait un autre pari : celui du temps long. Nous avons choisi de renforcer les liens en périphérie du pouvoir — avec des parlementaires engagés, des conseillers, des experts administratifs — plutôt que de nous précipiter dans une logique d’exposition. C’est ce que nous aurions fait pour nous mêmes, alors pourquoi ne pas le faire pour notre client aussi ?

Deux mois plus tard, un remaniement a eu lieu. Le ministre nommé n’était autre que l’une des personnes que nous avions pris le temps de rencontrer dans un cadre informel, mais profondément stratégique. Cette rencontre ne figurait dans aucun livrable. Elle n’était dans aucun bilan. Et pourtant, elle a fait la différence.

Changer le paradigme des affaires publiques

Ce que nous défendons, ce n’est pas la disparition des livrables. C’est leur remise à leur juste place. Les livrables doivent redevenir ce qu’ils ont toujours été censés être : des supports, des outils, des marqueurs de trajectoires plus vastes. Ils ne sont pas ce que nous avons à montrer, mais ce que nous mettons en mouvement.

Les relations publiques doivent évoluer vers des formes plus agiles, plus intégrées, plus humbles aussi. Cela suppose de mesurer ce qui ne se compte pas toujours facilement : la densité des relations nouées, la clarté des positionnements obtenus, l’intelligence politique déployée. Cela suppose de faire le choix de l’alignement plutôt que celui de la vitrine. Cela suppose, surtout, de réaffirmer que dans un monde saturé de contenus, de formats et d’outils, l’impact ne réside plus dans ce que l’on produit, mais dans ce que l’on transforme.

Et si l’on en finissait, pour de bon, avec la République du livrable — pour entrer enfin dans celle de l’impact ?

Si cette approche du plaidoyer et des relations publiques vous parle, vous pouvez en savoir plus sur notre manière de travailler en consultant notre page dédiée.

Béchir Saket

Directeur Général – CEO

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Les Astérisques

Les relations publiques ne se résument pas à des stratégies et des outils. Elles sont aussi un regard, une posture, une manière de penser l’influence et la communication dans un monde en perpétuelle évolution.

Dans Les Astérisques, je prends la plume pour explorer, questionner et partager mes réflexions personnelles. Ici, pas de livrable, pas de formatage : juste des idées, des convictions et des pensées en marge du cadre habituel.

Un espace pour prendre du recul, sortir du bruit ambiant et regarder autrement ce qui nous entoure.

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