Alors que le Sénat lance une mission d’information flash sur les dangers des opioïdes, la France tente de prévenir une crise sanitaire à l’américaine. Entre vigilance accrue, encadrement des prescriptions et innovations thérapeutiques, plusieurs pistes émergent pour endiguer un phénomène complexe et insidieux.
Un usage en hausse, des risques encore sous-évalués
La France n’est pas les États-Unis. Mais les chiffres commencent à inquiéter : hausse des prescriptions, multiplication des cas de mésusage, hospitalisations et décès par overdose en augmentation. En 2017, les opioïdes représentaient déjà 22 % des antalgiques consommés en France. Le tramadol, la codéine, mais aussi des molécules plus puissantes comme l’oxycodone ou le fentanyl, sont de plus en plus présents dans les parcours de soins.
Les experts alertent : même si notre système de régulation est plus strict qu’outre-Atlantique, la progression silencieuse de la dépendance aux opioïdes pourrait nous conduire à une impasse. Plus de 10 millions de patients en ont déjà consommé en 2015. Le phénomène n’est pas marginal : il est enraciné dans les pratiques médicales, souvent par défaut de solutions alternatives ou de temps pour accompagner les douleurs chroniques.
Une mission sénatoriale pour cerner le problème et prévenir le pire
Face à ces signaux, le Sénat a lancé en février 2025 une mission d’information flash, confiée à trois sénatrices issues de familles politiques différentes dont l’élue écologiste Anne Souyris. Objectif : caractériser les risques de santé publique liés aux opioïdes prescrits comme analgésiques, interroger les pratiques de prescription et proposer des pistes concrètes pour prévenir la dépendance.
Le cas américain est dans tous les esprits. Là-bas, l’absence de régulation, la pression des laboratoires et la banalisation des antidouleurs ont provoqué une crise sanitaire majeure. En France, le défi est clair : ne pas reproduire les mêmes erreurs, tout en répondant à une demande légitime de soulagement de la douleur.
La mission sénatoriale se concentrera exclusivement sur les enjeux sanitaires, en excluant la question des trafics illicites, pour mieux renforcer les outils de prévention, de formation des prescripteurs, et d’accompagnement des patients.
Trois leviers d’action pour éviter une dérive à l’américaine
La lutte contre les opioïdes ne peut reposer sur un seul pilier. Elle implique une stratégie tripartite, qui mobilise à la fois les prescripteurs, les dispositifs de réduction des risques et l’accès aux traitements innovants.
D’abord, la prévention passe par un encadrement renforcé des prescriptions. Trop souvent, la prescription d’opioïdes se fait par réflexe ou par manque de formation sur les alternatives disponibles. Une meilleure formation des médecins – dès l’université mais aussi en formation continue – est indispensable, tout comme une information claire et accessible des patients sur les risques d’addiction, y compris dans des usages médicaux jugés « standards ».
Ensuite, la lutte contre les mésusages et les détournements appelle des solutions concrètes pour les publics les plus vulnérables. Dans ce cadre, les traitements de substitution à libération prolongée, comme la buprénorphine injectable, peuvent offrir une réponse adaptée pour les patients non stabilisés ou à risque élevé de rechute. Ces formes longue durée permettent une meilleure observance, réduisent les risques de détournement, et offrent un cadre thérapeutique plus sécurisé.
Enfin, le développement de l’accès à la naloxone, médicament d’urgence utilisé pour contrer les effets d’une overdose, constitue un outil essentiel de réduction des risques. Bien que son efficacité soit limitée face à certaines molécules de synthèse comme le fentanyl, la naloxone demeure aujourd’hui la seule réponse rapide en cas d’overdose d’opioïdes courants, et son accessibilité doit être généralisée auprès des professionnels de santé, des usagers et de leur entourage.
En combinant ces trois dimensions – formation, innovation thérapeutique et réduction des risques – la France peut non seulement éviter une crise majeure, mais aussi réaffirmer un modèle de santé publique fondé sur la responsabilité, l’accompagnement et la prévention.